200 ans de progrès sur l’emploi en 4 repères.
Article créé par François Marandet
Aujourd'hui 2017 :
Discours prononcé devant la
chambre des Lords contre le bill punissant de la peine de mort le bris de machines
Milords, le
sujet soumis en ce moment, pour la première fois, aux délibérations de Vos
Seigneuries, quoique nouveau pour la chambre, ne l’est certainement pas pour le
pays. Cette question avait occupé l’attention sérieuse d’un grand nombre
d’hommes avant qu’elle se présentât à la législature, dont l’intervention en
cette matière pouvait seule être vraiment utile. Bien qu’étranger, non-seulement
à cette chambre en général, mais à la presque totalité de ceux dont j’ose
solliciter l’attention, la connaissance personnelle que j’ai des malheurs du
comté en question m’engage à réclamer une portion de l’indulgence de Vos
Seigneuries pour le petit nombre d’observations que j’ai à présenter sur une
matière à laquelle, je l’avoue, je prends l’intérêt le plus vif.
Il serait
superflu d’entrer dans des détails au sujet des troubles qui ont eu lieu :
la chambre sait déjà qu’à l’exception de l’effusion du sang, des outrages et
des actes d’hostilité de tout genre ont été accomplis, et que l’insulte et la
violence ont atteint les propriétaires des métiers proscrits par les
perturbateurs, ainsi que toutes les personnes ayant avec eux quelque rapport. Pendant
le peu de temps que j’ai passé récemment dans le Nottinghamshire, douze heures
ne s’étaient pas écoulées que de nouveaux actes de violence avaient été
commis ; et le jour où je quittai le comté j’appris que, dans la soirée
précédente, quarante métiers avaient été brisés, comme d’ordinaire, sans
résistance et sans que les malfaiteurs fussent signalés.
Tel était alors
l’état de ce comté, et tel il est encore maintenant, j’ai tout lieu de le
croire ; mais tout en admettant dans une proportion alarmante l’existence
de ces actes de violence, on ne saurait nier qu’ils ont leur origine dans un
état de détresse auquel on ne saurait rien comparer. La persévérance de ces
malheureux dans leur conduite coupable prouve qu’il n’a rien moins fallu qu’un
dénuement absolu pour pousser une population nombreuse, honnête et laborieuse
jusqu’à ce jour, à commettre des excès si périlleux pour eux-mêmes, leur
famille et le pays. A l’époque dont j’ai parlé, la ville et le comté étaient
encombrés de nombreux détachements de soldats ; la police était en
mouvement, les magistrats assemblés ; néanmoins toute cette activité des
autorités civiles et militaires n’aboutissait à rien. Il n’avait pas été
possible d’arrêter en flagrant délit un seul délinquant véritable contre lequel
il fût possible de réunir les témoignages nécessaires pour obtenir une
condamnation. Ce n’est pas à dire, néanmoins, que la police fût restée
oisive ; on avait signalé plusieurs délinquants notoires, des hommes
évidemment coupables du crime capital de la pauvreté, des hommes coupables
d’avoir légitimement mis au jour plusieurs enfants que, grâce aux malheurs des
temps, ils étaient incapables de nourrir.
Un tort
considérable a été causé aux propriétaires des métiers perfectionnés. Ces
machines leur étaient avantageuses, en ce sens qu’elles rendaient inutile
l’emploi d’un certain nombre d’ouvriers, qui, en conséquence, n’avaient plus
qu’à mourir de faim. Par l’adoption d’une espèce de métier, en particulier, un
seul homme faisait l’ouvrage de plusieurs, et l’excédent des travailleurs était
laissé sans emploi. Remarquons, toutefois, que l’ouvrage ainsi exécuté était
d’une qualité inférieure, que ses produits ne pouvaient trouver de débouchés
dans le pays, et n’étaient ainsi bâclés que dans un but d’exportation. Ces articles
s’appelaient, dans le commerce, du nom de “toiles d’araignées”. Les ouvriers
sans ouvrage, dans l’aveuglement de leur ignorance, au lieu de se réjouir de
ces perfectionnements dans les arts, si avantageux au genre humain, se
regardèrent comme des victimes sacrifiées à des améliorations mécaniques. Dans
la folie de leur cœur, ils s’imaginèrent que l’existence et le bien-être de la
classe laborieuse et pauvre étaient un objet de plus grande importance que
l’enrichissement de quelques individus, par suite de perfectionnements dans les
instruments de travail, perfectionnements qui laissaient l’ouvrier sans emploi
et sans ressource. Et l’on doit avouer que s’il est vrai que l’adoption d’un
vaste système de machines, dans l’état où se trouvait notre commerce il n’y a
pas longtemps encore, a pu être utile au maître sans nuire à l’ouvrier,
néanmoins, dans la situation actuelle de nos fabriques, alors que les produits
manufacturés pourrissent dans les magasins sans perspective d’exportation,
alors qu’il y a diminution égale dans les demandes de travail et d’ouvriers,
des métiers de cette espèce ont pour résultat d’aggraver matériellement la
détresse et le mécontentement des malheureux désappointés.
Mais cette
détresse et les troubles qui en résultent ont une cause plus profonde. Quand on
nous dit que ces hommes se liguent, non-seulement pour détruire leur propre
bien-être, mais encore leurs moyens mêmes d’existence, pouvons-nous oublier que
c’est la politique funeste, la guerre destructive des dix-huit dernières
années, qui ont détruit leur bien-être, le vôtre, celui de tout le monde ?
Cette politique, ouvrage de « grands hommes d’État qui ne sont plus », a
survécu aux morts, pour être le fléau des vivants jusqu’à la troisième et
quatrième génération !
Ces hommes
n’ont brisé les métiers que lorsqu’ils sont devenus inutiles, pire qu’inutiles,
que lorsqu’ils sont devenus un obstacle réel à ce qu’ils gagnassent leur pain
quotidien. Pouvez-vous donc vous étonner que dans un temps comme le nôtre, où
la banqueroute, la fraude prouvée, la félonie imputée, se rencontrent dans des
rangs peu au-dessous de celui de Vos Seigneuries, la portion inférieure, et
toutefois la plus utile de la population, oublie ses devoirs dans sa détresse,
et se rende seulement un peu moins coupable que l’un de ses
représentants ? Mais tandis que le coupable de haut parage trouve les
moyens d’éluder la loi, il faut que de nouvelles offenses capitales soient
créées, que de nouveaux pièges de mort soient dressés pour le malheureux
ouvrier que la faim a poussé au crime ! Ces hommes ne demandaient pas
mieux que de bêcher, mais la bêche était dans d’autres mains. Ils n’auraient
pas eu honte de mendier, mais il ne se trouvait personne pour les secourir.
Leurs moyens de subsistance leur étaient enlevés ; aucune autre nature de
travail ne s’offrait à eux, et leurs excès, tout condamnables et déplorables
qu’ils sont, ne doivent pas nous surprendre.
On a dit que
les personnes en possession temporaire des métiers sont de connivence dans leur
destruction. Si une enquête parvient à prouver ce fait, il importe que de tels
complices soient punis comme auteurs principaux du délit. Mais j’espérais que
les mesures proposées par le gouvernement de Sa Majesté à la décision de Vos
Seigneuries auraient la conciliation pour base ; ou, si c’était trop
espérer, qu’une enquête préalable, une délibération quelconque serait jugée
nécessaire. Je ne croyais pas que, sans examen, sans investigation, on nous
demanderait de rendre des sentences en gros, et de signer des arrêts de mort
les yeux fermés.
Mais, en
supposant que ces hommes n’eussent aucun motif de plainte, que leurs griefs et
ceux de leurs maîtres fussent également sans fondement, qu’ils ne méritassent
aucune grâce, quelle insuffisance, quelle imbécillité, ont présidé aux mesures
employées pour réprimer le désordre ! Si l’on voulait faire intervenir les
troupes, fallait-il rendre cette intervention ridicule ? Autant que la
différence des saisons l’a permis, on s’est borné à parodier la campagne d’été
du major Sturgeon ; et, en effet, toutes les opérations civiles et
militaires semblent avoir été calquées sur le modèle de celles du maire et de
la corporation de Garratt. Que de marches et de contre-marches ! De
Nottingham à Bullwell, deBullwell à Banford, de Banford à Mansfield ; et
lorsqu’enfin les détachements sont arrivés à leur destination, dans tout
l’appareil de la pompe guerrière, ils sont tout juste venus à temps pour être
témoins du mal qui avait été fait, constater l’évasion des délinquants,
recueillir les dépouilles opimes dans les fragments des métiers brisés, et
rentrer à leurs quartiers au milieu des rires des vieilles femmes et des huées
des enfants. Or, quoique dans un pays libre on puisse désirer que nos soldats
ne soient jamais un objet d’effroi, du moins pour nous-mêmes, je ne vois pas la
nécessité de les placer dans des positions où ils ne peuvent être que
ridicules.
Comme le glaive
est le pire instrument qu’on puisse employer, ce doit être aussi le dernier. En
cette occasion, ça été le premier ; mais heureusement qu’il est resté dans
le fourreau. Il est vrai que la mesure actuelle va l’en faire sortir.
Cependant, si des meetings convenables avaient été tenus à l’origine de ces
troubles, si les griefs de ces hommes et de leurs maîtres (car ces derniers
avaient aussi leurs griefs) avaient été impartialement pesés et équitablement
examinés, je crois qu’on eût trouvé des moyens pour rendre ces hommes à leurs
travaux, et rétablir l’ordre dans le comté. En ce moment, le comté souffre du
double fléau de troupes oisives et d’une population affamée. Dans quel état
d’apathie avons-nous donc été plongés si longtemps, que ce soit maintenant pour
la première fois que la chambre ait été officiellement informée de ces
troubles ? Tout ceci se passait à cent trente milles de Londres, tandis
que nous, « bonnes gens, dans la sécurité de notre grandeur », nous
nous occupions tranquillement à jouir de nos triomphes à l’étranger, au milieu
des calamités domestiques. Mais toutes les villes que vous avez prises, toutes
les armées qui ont battu en retraite devant vos généraux, sont de tristes
sujets de félicitation, si la discorde divise votre pays, et s’il vous faut
envoyer des dragons et des bourreaux contre vos concitoyens. – Vous appelez ces
gens une populace effrénée, dangereuse et ignorante, et vous semblez croire que
le seul moyen de faire taire le bellua multorum capitum [le monstre aux
cent têtes] est d’abattre quelques-unes de ces têtes superflues ! Mais la
populace elle-même est plus facilement ramenée à la raison par le mélange de la
conciliation et de la fermeté que par une irritation additionnelle et une
aggravation de châtiments.
Savons-nous
toutes les obligations que nous avons à la populace ? C’est la populace
qui laboure vos champs, et fait le service de vos maisons ; – qui manœuvre
votre marine et recrute votre armée ; – qui vous a mis à même de tenir
tête au monde entier, et vous tiendra tête à vous-mêmes quand l’abandon et le
malheur l’auront poussée au désespoir. Vous pouvez donner au peuple le nom de
populace ; mais n’oubliez pas que souvent c’est le peuple qui parle par la
voix de la populace, et, ici, je ne puis m’empêcher de remarquer avec quel
empressement vous volez au secours de vos alliés malheureux, abandonnant les
malheureux de votre patrie à la sollicitude de la Providence, ou de la
paroisse.
Quand les
Portugais souffrirent par suite de la retraite des Français, tous les bras
furent tendus, toutes les mains s’ouvrirent ; depuis la largesse du riche
jusqu’à l’obole de la veuve, tout fut prodigué pour les mettre à même de
rebâtir leurs villages et de regarnir leurs greniers ; et, en ce moment où
des milliers de vos compatriotes égarés, mais en proie à la plus affreuse
détresse, luttent contre tout ce que le malheur et la faim ont de plus hideux,
votre charité, qui a commencé au loin, doit finir chez vous ? Une somme
beaucoup moindre, un dixième des bienfaits prodigués au Portugal, lors même que
ces hommes (ce que je ne puis admettre sans enquête) n’auraient pu être rendus
à leurs travaux, aurait rendu inutile le charitable emploi de la baïonnette et
de la potence. Mais, sans doute, nos amis les étrangers ont des titres trop
nombreux à notre bienveillance pour admettre la possibilité de secours
domestiques ; et, cependant, jamais des besoins plus pressants ne les ont
réclamés. J’ai traversé le théâtre de la guerre dans la Péninsule ; j’ai
visité quelques-unes des provinces les plus opprimées de la Turquie ; mais
sous le plus despotique des gouvernements infidèles, jamais je n’ai vu de
misère plus hideuse que depuis mon retour au cœur même d’un pays chrétien. Et
quel remède apportez-vous à cet état de choses ? Après des mois entiers
d’inaction, ou d’une action pire encore, arrive, à la fin, le grand spécifique,
l’infaillible recette de tous les docteurs de l’État, depuis les jours de
Dracon jusqu’à notre époque. Après qu’on aura tâté le pouls aux malades en
secouant la tête, après qu’on aura ordonné l’eau chaude et la saignée
habituelle, l’eau chaude de votre police et la lancette de vos soldats, ces
convulsions doivent se terminer par la mort, résultat inévitable des
prescriptions de tous les Sangrado politiques.
Sans parler de
l’injustice palpable et de l’inefficacité certaine du bill, la peine capitale
n’est-elle pas assez prodiguée dans vos statuts ? N’y a-t-il pas assez de
sang dans votre code pénal ? Faut-il en répandre encore, pour qu’il monte
vers le ciel et crie contre vous ? Comment mettrez-vous ce bill à
exécution ? Pouvez-vous mettre en prison tout un comté ?
Élèverez-vous une potence dans chaque champ, et y pendrez-vous des hommes en
guise d’épouvantails ? Ou bien (et il le faudra), pour exécuter cette
mesure, procéderez-vous par voie de décimation ? Placerez-vous le pays
sous l’empire de la loi martiale ? Voulez-vous dépeupler tout le pays, et
le transformer en une vaste solitude ? Voulez-vous offrir, comme apanage à
la couronne, la forêt de Sherwood, et la rétablir dans sa première condition de
chasse royale et d’asile pour les brigands ? Sont-ce là vos remèdes aux
maux d’une populace affamée et furieuse ? Le malheureux à qui la faim a
fait braver vos baïonnettes, croyez-vous l’effrayer par le gibet ? Alors
que la mort est un soulagement, le seul à ce qu’il paraît que vous consentiez à
lui accorder, vos dragons le ramèneront-ils à l’ordre ? Ce que vos
grenadiers n’ont pu faire, vos bourreaux le feront-ils ? Si vous procédez
par les formes légales, où seront vos preuves ? Ceux qui ont refusé
d’accuser leurs complices quand la peine encourue n’était que la déportation ne
consentiront certes pas à déposer contre eux quand la peine sera la mort.
Avec tout le
respect que je dois aux nobles lords des bancs opposés, je pense que quelques
investigations, quelques enquêtes préalables, changeraient leurs résolutions.
Ce recours, si cher aux hommes d’état, si merveilleusement efficace en mainte
occasion récente, la temporisation, ne serait pas ici sans avantages. Quand on
vous propose une mesure d’émancipation ou de redressement, vous hésitez, vous
délibérez pendant des années entières ; vous temporisez, vous avez recours
à mille ménagements ; mais une loi de mort doit être votée haut-la-main,
sans songer aux conséquences. J’ai la certitude, d’après ce que j’ai vu et
entendu, que dans les circonstances actuelles, voter ce bill sans enquête, sans
délibération, ce serait joindre l’injustice à l’irritation, et la barbarie à
l’indifférence. Les auteurs d’un tel bill doivent se résigner aux honneurs de
ce législateur d’Athènes dont les lois étaient, dit-on, écrites, non avec de
l’encre, mais avec du sang.
Mais supposons
que ce bill soit adopté ; supposons l’un de ces hommes tels que j’en ai
vu, – maigri par la faim, plongé dans un sombre désespoir, insoucieux d’une vie
que Vos Seigneuries sont sans doute sur le point d’évaluer aux prix d’un
métier ; – supposons cet homme entouré de ses enfants auxquels il ne peut
procurer du pain même au péril de sa vie, prêt à se voir arraché pour jamais à
une famille que sa paisible industrie avait jusqu’alors soutenue et pour
laquelle il ne peut plus rien faire sans qu’il y ait de sa faute ; — supposez
cet homme, et il y en a des milliers de semblables, parmi lesquels vous pouvez
choisir vos victimes ; supposons-le traîné devant un tribunal afin d’y
être jugé pour ce délit nouveau, en vertu de cette loi nouvelle ; eh
bien ! il manquera encore deux choses pour le juger et le condamner, à
savoir, dans mon opinion, douze bouchers pour jury, et un Jefferies pour juge.
Lorsque
Lord Byron prononce son discours devant la chambre des Lords, il y est question
de promulguer une loi permettant de condamner à mort, sur le champ, tout
ouvrier congédié qui s’en prendrait à l’outil de production installé pour le
remplacer. Nous sommes alors en 1812.
Les grèves et les mouvements sociaux faisant suite à la mécanisation des ateliers sont lourdement encadrés par les forces de l’ordre. L’industrialisation a jeté des villages entiers de travailleurs à la rue.
Les grèves et les mouvements sociaux faisant suite à la mécanisation des ateliers sont lourdement encadrés par les forces de l’ordre. L’industrialisation a jeté des villages entiers de travailleurs à la rue.
1848, il y a environ 170 ans :
LACORDAIRE parlant du repos dominical, jour de repos, même de Dieu.
LACORDAIRE parlant du repos dominical, jour de repos, même de Dieu.
Est-ce bien la France qui méconnaît à ce point les devoirs les plus
sacrés de l’homme envers l’homme ? Est-ce elle qui déchire le pacte
fondamental de l’humanité, qui livre au riche l’âme et le corps du
pauvre pour en user à son plaisir, qui foule aux pieds le jour de la
liberté, de l’égalité, de la fraternité, le jour sublime du peuple et de
Dieu ? Je vous le demande, est-ce bien la France ? Ne l’excusez
pas en disant qu’elle permet à chacun le libre exercice de son culte, et que
nul, s’il ne le veut, n’est contraint de travailler le septième jour ; car
c’est ajouter à la réalité de la servitude l’hypocrisie de l’affranchissement.
Demandez à l’ouvrier s’il est libre d’abandonner le travail à l’aurore du jour qui lui commande le repos […]. Demandez à ces êtres flétris qui peuplent les cités de l’industrie, s’ils sont libres de sauver leur âme en soulageant leur corps. Demandez aux innombrables victimes de la cupidité d’un maître, s’ils sont libres de devenir meilleurs, et si le gouffre d’un travail sans réparation physique ni morale ne les dévore pas vivants […]. Non, Messieurs, la liberté de conscience n’est ici que le voile de l’oppression ; elle couvre d’un manteau d’or les lâches épaules de la plus vile des tyrannies, la tyrannie qui abuse des sueurs de l’homme par cupidité et par impiété […].
Sachent donc ceux qui l’ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu’ils prennent, qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. Le droit est l’épée des grands, le devoir est le bouclier des petits.
Bien sur, quand on est athée,
on peut réfuter cette homélie en la prenant au premier degré. Mais replacé dans
le contexte de l'époque, et dans l'habit et la conviction religieuse de
l'homme, on peut néanmoins sans trahir ses sentiments retenir ce constat :
« Demandez aux innombrables victimes de la cupidité d’un maître, s’ils
sont libres de devenir meilleurs, et si le gouffre d’un travail sans réparation
physique ni morale ne les dévore pas vivants »
Bien sur, quand on est athée, comme
je le suis, on peut réfuter dans cette conférence les arguments religieux
traditionnels (Dieu se reposant le septième jour) mais on est obligé de
reconnaître que cette défense du repos dominical, sous prétexte religieux est
un acte humaniste d'un homme de gauche contre le libéralisme économique du
milieu du XIX ème
siècle qui « méconnaît les devoirs les plus sacrés de l'homme envers
l'homme » : et demande l'application d'une règle protégeant les plus
faibles.
« Demandez aux innombrables victimes de la cupidité d’un maître, s’ils sont libres de devenir meilleurs, et si le gouffre d’un travail sans réparation physique ni morale ne les dévore pas vivants »
Pour finir comment ne pas citer la
chanson de Brel, Pourquoi ont-ils tué Jaurès :
« Ils
étaient usés à 15 ans,
Ils
finissaient en débutant,
Les douze mois
s'appelaient décembre … »
2014, il y a 3 ans :
Lâchez-nous avec la « valeur travail » ! Diana Filippova, Le 18/07/2014
Lettre ouverte aux élus, dirigeants, syndicats,
philosophes, économistes et tous les autres. Par Diana Filippova, Connector
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Voici
venu le temps des contradictions. Entre les discours sur le travail que vous - élus,
dirigeants, syndicats, prétendants au pouvoir - proférez et les preuves
objectives, un gouffre s'est creusé. Les tâches les plus variées nous échappent
chaque jour au profit des machines, et pourtant vous érigez encore l'emploi en
garant de tous nos droits - santé, vieillesse, citoyenneté - et de notre
bonheur.
Vous
affirmez que le travail est la voie de conquête de notre liberté et de notre
indépendance. Nous constatons que les conditions du travail s'améliorent
uniquement pour une mince couche de super héros.
Vous
expliquez que notre graal est le CDI garanti à vie, adossé à un salaire décent
et à un prêt immobilier. Nous cherchons en vain autour de nous les quelques
survivants de ce paradis perdu du siècle dernier.
Vous
dites que le travail est la clef de notre épanouissement et du vivre-ensemble.
Nous ne parvenons pas à trouver le moindre signe de bonheur dans l'enchaînement
des tâches répétitives, la pression hiérarchique et l'insécurité psychologique
latente.
Vous
dégainez la méritocratie et le niveau de diplôme pour justifier des inégalités
sur le marché du travail. Nous nous efforçons à trouver une corrélation dans
nos vies et celles des autres : sans succès.
Laissez-moi
vous le dire crûment : vous ressemblez de plus en plus à des professeurs de morale,
qui espèrent cacher la vacuité de leur pensée par l'invocation quotidienne des
grands principes de l'humanisme. Aux citoyens, aux employés, au peuple, vous
n'avez d'autre vision à offrir que ce plus petit dénominateur que vous avez en
commun : la valeur travail.
Une valeur morale au travail ?
Nous
ne sommes ni n'avons jamais été dupes de votre rhétorique supposément éthique.
Si le peuple a jamais attribué une quelconque valeur morale au travail, c'est
qu'il en tirait un profit pécuniaire et des avantages bien réels.
Durant
les deux siècles derniers, l'entreprise individuelle et l'emploi salarié ont
été deux modalités plutôt efficaces pour franchir quelques barreaux de
l'échelle sociale. Nous étions bien conscients, au fond, qu'en signant ce CDI,
nous renoncions à une grande partie des fruits de notre travail, mais la
promesse des protections sociales diverses et variées suffisait à dissiper nos
quelques doutes.
Les
femmes avaient beau se plaindre que leur travail domestique en était un et
qu'il n'était toujours pas reconnu comme tel malgré sa pénibilité, la grande
majorité d'entre nous en avait plutôt pour son compte et ne l'ouvrait pas trop.
L'assimilation
que vous faisiez entre travail, effort et emploi salarié nous semblait bien
trop rapide, certes, mais tant qu'il y avait un salaire et des perspectives de
devenir soi-même boss, on n'ergotait pas trop sur vos erreurs conceptuelles.
Travailler à tout prix
Aujourd'hui,
votre discours a perdu le ton enjoué du siècle dernier et s'est teinté d'intonations
culpabilisantes, moralisatrices, prescriptrices. Il faut travailler à tout
prix, dites-vous, car l'effort mène au salut psychologique et social tandis que
l'inactivité condamne notre société à l'assistanat permanent. Vous avez
d'ailleurs pris soin de créer une distinction claire entre le bon élève - celui
qui travaille même lorsque sa qualification n'a rien à voir avec le poste - et
l'outsider-marginal qui doit pointer à Pôle Emploi tous les mois pour percevoir
son maigre pécule. Votre
voix devient rauque lorsque vous nous rappelez publiquement que nous devons
purger notre dette à l'égard de la société et de l'État - dette originelle dont
nous avons hérité dès notre naissance. Vous vous indignez devant les courbes
qui ne fléchissent pas et signez des pactes de responsabilité qui vous
fournissent une poignée d'éléments de langage exploitables pendant quelques
mois. Au fond, vous vous réjouissez de savoir que faire travailler les autres
coûte de moins en moins cher tandis que ces autres produisent de plus en plus.
Votre
jeu est vieux comme le monde et il est si simple d'y voir clair : la
moralisation du travail est - et a toujours été - le meilleur instrument de
contrôle physique, psychologique et social des hommes. Vous vantez l'effort
dans la tradition judéo-chrétienne : l'effort soigne la paresse, détourne des
tentations et enseigne l'humilité. L'érection du plein emploi en objectif
millénaire vous permet de rationaliser le déséquilibre des rapports de force
entre employeur et employé, tout en fournissant un formalisme juridique à
l'aliénation des moyens de production.
L'emploi à repenser
L'étendue
du champ couvert par le concept « travail » est ainsi réduite à son expression
la plus simpliste : l'emploi comptabilisé par les statistiques nationales. Tout
le reste - de la pratique des artistes aux corvées domestiques - n'en fait pas
partie puisqu'il ne rentre pas dans l'une des cases prévues par l'INSEE, Pôle
Emploi ou le Bureau International du Travail.
Arrêtez
votre cinéma, car nous ne croyons plus à vos discours et vous dénions toute
autorité morale. Nous avons la mémoire suffisamment longue pour nous méfier de
toute prescription sociale qui érige le travail - arbeit,
rabota ("travail" en allemand et en russe) - en norme morale
universelle. L'emploi salarié s'en est allé et nous avons tout le loisir de
repenser par nous-mêmes ce que le travail signifie réellement pour nous, et
comment il s'insère dans les modèles de société que nous souhaitons bâtir.
Peut-être
avons-nous un seul conseil à vous donner : laissez donc tomber la morale et
préoccupez-vous plutôt de l'économie. À force de lui donner tour à tour les
rôles les plus variés - du déterminant culturel à l'instrument de cohésion
sociale - vous avez oublié son rôle premier de facteur de production.
Or,
la valeur purement économique du travail n'a jamais autant stagné, ravivant des
inégalités que les sociétés occidentales n'ont pas connues depuis le début du
siècle dernier. Aujourd'hui, nous avons besoin de vous pour définir un système
satisfaisant de valorisation de notre production. Car si le travail n'est pas
notre seul salut, il est encore notre principal gagne-pain.
Diana Filippova exprime dans sa lettre ouverte toute la logique qui conduit a proposer un peu partout dans le Monde le principe du revenu universel d’existence, ou revenu de base, ou encore salaire à vie.
Sa lettre ouverte, rédigée en 2014 préfigure le mouvement qui s’amplifie aujourd’hui par les voix de personnages tels que Bill Gates ou Mark Zuckerberg, ces derniers insistant sur le fait que les activités humaines étant de plus en plus mécanisées, robotisées, il devient impossible d’entretenir le principe que le travail humain puisse occuper l’ensemble des personnes en âge de travailler au même rythme qu’auparavant.
Soit il faut bien diviser le temps à travailler entre le maximum
de gens, et le temps individuel de travail doit diminuer très nettement, soit
il est nécessaire d’accepter q’une partie des personnes en âge de travailler
puissent gagner leur vie sans contribuer directement à l’effort de travail
collectif.
Passionnant cet article, un peu d'histoire ça fait du bien, parfois, on ne pense plus au passé, alors que c'est avec celui-ci, qu'on peut bâtir son avenir, et, très belle lettre,merci Filippova, de défendre de si belles valeurs dans le monde ...
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