dimanche 11 juin 2017

l'euro : dette ou bien commun ?

 

 

La monnaie est un bien commun


Au sein d'une tribu de Cro-Magnon, chacun sait recoudre un vêtement, façonner un couteau de silex, ou cuisiner la cuisse de lapin aux oignons. Les échanges se font principalement sous la forme du don ou du troc.
Dans une société où les biens sont produits par des acteurs spécialisés, le troc est inefficace.

Qui veut des pommes ?

Comment faire si je produis des pommes et que j'ai besoin de chaussures ? Si le cordonnier n'a pas envie de pommes, mais veut des harengs, pas d'échange possible, à moins que le pêcheur veuille des pommes. Une double transaction est alors possible, à condition que je connaisse le prix du hareng en pommes et les prix des chaussures en harengs.
Imaginons que dix marchandises soient présentes au village : pour que les échanges puissent se faire, chacun doit avoir à l'esprit les 45 valeurs relatives de ces marchandises prises deux à deux. Si de plus, le pêcheur désire différer son achat, il faut qu'il stocke ses harengs, ce qui évidemment réduit leur valeur.

La monnaie est une création intersubjective dont le support matériel est arbitraire


D'où l'idée de définir la valeur d'échange d'un bien par un nombre qui sera la quantité d'un objet agréé comme monnaie : coquillages, perles d'ambre, tibias de kangourous .... Tout objet portable, non périssable, et facilement dénombrable peut faire l'affaire.
L'administration coloniale de l'empire britannique acceptait les cauris comme moyen de paiement des taxes.


Cauris : coquillages utilisés comme monnaie en Asie

La monnaie ne peut remplir son office que si chacun est persuadé que les autres en veulent et continueront dans l'avenir à en vouloir . La monnaie repose sur la confiance....en la monnaie.
La monnaie d'autrefois avait pour support matériel des échantillons de métal précieux, dont la pureté et la masse étaient garanties par un pouvoir d'état. La confiance est alors renforcée par la croyance partagée en la puissance de cet état, symbolisée par le portrait du monarque.
L'objet monnaie n'a strictement aucune valeur d'usage. On ne peut rien faire d'un morceau d'or, non plus que d'un coquillage, ni d'un portrait d'ancien président des Etats-Unis. La monnaie moderne se présente comme une succession de 0 et de 1 dans la mémoire d'un ordinateur ; à présent dépourvue de support matériel, elle achève ainsi son processus d'abstraction.
La monnaie est donc une création intersubjective qui repose sur une foi partagée. La foi religieuse rejoint alors la valeur fiduciaire dans leur étymologie commune : fides !

Contrairement aux religions, la monnaie est indispensable aux sociétés modernes. La quantité de monnaie disponible doit correspondre au volume des échanges. Trop rare, l'activité économique stagne. Trop abondante, sa valeur d'échange diminue, et avec elle la possibilité de différer son utilisation.

La monnaie, qui assure la fluidité des échanges, est le fluide vital de l'économie.

Comme l'air que nous respirons, la monnaie est un bien commun.

La monnaie est constamment créée et détruite par le mécanisme du crédit


La masse monétaire totale de la zone euro est supérieure à 10.000 milliards. La création annuelle de monnaie varie quant à elle de 500 à 1000 milliards d'euros.

Le mécanisme par lequel cette monnaie est créée est le crédit bancaire.
Chaque banque est tenue de posséder un compte à la banque centrale européenne (BCE). Ce compte est constitué des fonds propres de la banque, des interêts qu'elle perçoit, et d'un (faible) pourcentage des dépôts collectés par cette banque. La banque peut également alimenter ce compte au moyen d'emprunts à la BCE.
La banque ne peut pas émettre autant de prêts qu'elle le désire. Les règles prudentielles imposent que le montant total des prêts soit limité à un certain multiple des réserves de la banque, détenues par la BCE. Selon la règle en vigueur, les réserves de la banque à la BCE ne peuvent pas être inférieures à 8% des crédits engagés.

La banque crée de la monnaie à partir de rien.


Ces règles signifient que 10 euros déposés à la BCE ouvrent un droit à prêt de 125 euros.

Supposons que ces 125 euros soient prêtés à un client au taux de 4%, remboursables en 10 ans.
Dés la signature du prêt la banque inscrit 125 euros au crédit du client, 125 euros à son passif, et reçoit une reconnaissance de dette de 125 euros.
Cette créance est un actif monnayable. La banque a donc créé 125 euros à partir de 10 euros. Elle a créé 115 euros à partir de rien.

Au bout d'une année la banque perçoit de son client 12,5 euros, composés de 5 euros d'interêts et de 7,5 euros de capital.
La créance n'a donc plus pour valeur que 117,5 euros : 7,5 euros ont été détruits.
La banque a encaissé 5 euros d’intérêts en engageant 10 euros de fonds propres. Son rendement est donc ici de 50%.

 (notons que la banque peut également prêter de manière conventionnelle en mobilisant les sommes qu'elle détient en dépôt. Il n'y a pas dans ce cas de création monétaire puisque le total des sommes détenues en dépôt ne change pas). 

Afin de reconstituer au plus vite ses fonds propres, la banque a intérêt à se débarrasser de ses créances, surtout si elle les estime peu fiables. C'est ce qu'elle fait, soit en les vendant directement, soit en émettant des titres adossés à ces créances. C'est le mécanisme de titrisation des dettes et de construction de produits dérivés qui alimentent un marché spéculatif géré le plus souvent offshore. Ces produits peuvent aussi intoxiquer l'ensemble du système financier en l'inondant de créances douteuses ou en favorisant la création de pyramides de Ponzi.

Actuellement, la monnaie fiduciaire (les morceaux de papier portant la signature de Mario Draghi) ne représente que quelques pourcents de la masse monétaire de la zone euro. Le reste est pour l'essentiel composé de dettes.
Le dollar, la livre sterling, l'euro, sont de l'argent-dette.

Inflation, austérité, et croissance : la banque prête le principal, pas les intérêts.


La monnaie créée, donc la dette, a pour contrepartie l'économie réelle, qui est en principe en mesure de rembourser le principal.
Ce n'est pas le cas des intérêts, qui ne peuvent être honorés que par la dépréciation de la monnaie (inflation), ou par l'augmentation de l'activité économique (croissance), ou par la réduction de la consommation (austérité).
Austérité, inflation et croissance sont les trois piliers du service de la dette.

L'inflation s' auto-entretient du fait de l'anticipation par les acteurs d'une dépréciation future. Elle détruit l'épargne, et de ce fait, est particulièrement redoutée des épargnants allemands, non seulement à cause des souvenirs pénibles de l'inflation des années 20, mais aussi en raison des excédents commerciaux énormes qu'enregistre l'Allemagne, qui, faute de consommation intérieure, se retrouvent en épargne. Par traité, la BCE a pour mission de contrôler l'inflation. Elle était en moyenne annuelle de 1,75% au premier trimestre de 2017.

Une croissance de 3,5% implique un doublement du PIB tous les 20 ans, ce qui suppose l'exploitation toujours accrue de nouvelles ressources. Une croissance illimitée dans un monde fini est impossible. Elle contrevient également au principe de solidarité transgénérationnelle qui veut que nous ne détruisions pas plus de ressources que nous ne pouvons en remplacer. Une croissance indéfinie est donc physiquement impossible et moralement inacceptable. La croissance de la zone euro s'établit en 2016 à environ 1,9%.

Reste l'austérité, qui se traduit par l' appauvrissement de la population et des services publics, par l'endettement des états. Ces effets sont encore accrus par la captation frénétique de la plus-value par le capital, encouragée par la fiscalité et la précarisation des salariés.


Le système monétaire de l'Euro est dangereux, inefficace et anti démocratique


- Il est dangereux parce qu'il est fondamentalement instable, comme en témoignent l'éclatement régulier des bulles financières et les crises profondes qui affectent l'économie tous les 15 ans.

- Il n'est pas soutenable, parce qu'il suppose un accroissement sans fin de la dette.

- Pour être efficace, la création de monnaie doit être répartie sur l'ensemble des acteurs économiques. Sur les consommateurs et les états, afin qu'ils soutiennent la demande, sur les entreprises afin qu'elles investissent.  En période de crise, les entreprises cherchent en priorité à réduire leur endettement. Confier la création de monnaie aux banques sous forme d'offre de prêts qui ne trouvent pas preneur dans l'économie réelle ne permet pas de relancer l'activité et alimente au contraire la spéculation.

- Il est antidémocratique parce que la monnaie est un bien commun dont la gestion ne saurait être soumise à la satisfaction d’intérêts privés, et que la politique budgétaire, ainsi que le droit de battre monnaie, sont des éléments de la souveraineté populaire qui ne sauraient être aliénés.

Où réside la réalité du pouvoir politique en Europe ?

 Meyer Amschel Rothschild : "donnez moi le droit d'émettre et de contrôler la monnaie d'une nation et alors peu m'importe qui fait ses lois"

Par sa maîtrise de la monnaie-dette, le monde de la finance jouit d'un pouvoir politique exorbitant. Grand défenseur de la démocratie libérale, il n'hésite pas à s'asseoir dessus quand le vote populaire est contraire.
En dépit du refus du projet constitutionnel de 2005, les mêmes dispositions sont adoptées en 2007 lors du traité de Lisbonne.
Il n'a fallu que quelques semaines au président Hollande, élu "ennemi de la finance", pour s'aligner sur la politique monétaire prescrite par le capitalisme.
Les banques françaises et allemandes ont tordu le bras au malheureux Alexis Tsipras et font payer au peuple grec les suites de leurs inconséquences.
En France, suite à un invraisemblable enfumage politico-médiatique, c'est un agent de l'oligarchie financière qui est "élu", faut il dire "nommé ?", à la présidence de la République.

Pour une monnaie démocratique en Europe


Il paraît essentiel de restaurer la souveraineté des peuples en Europe, et, à ce titre, rendre à la démocratie le contrôle de la monnaie, de la dette, et du budget.

La proposition du futur désirable de mettre la BCE sous la tutelle de représentants élus, en proportion de la population des pays de la zone Euro, est une avancée significative, mais pas forcément suffisante en soi.

Il faudrait en outre retirer au système bancaire le privilège de tirer profit de la création de monnaie en taxant intégralement les bénéfices ainsi réalisés.
La création de monnaie pourrait alors suivre d'autres voies, comme le financement à taux nul des investissements publics, la distribution aux citoyens d'un revenu universel de base, et la redirection du crédit dans les secteurs d'activité jugés prioritaires dans le cadre d'une politique industrielle concertée.



3 commentaires:

  1. Merci!

    Je n'ai pas tout compris dans les details -Il me faut le temps de "digérer" tout ça...

    J'imagine la difficulté du sujet...

    En tout cas bravo pour ce travail !

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  2. Ouille j'ai pris mon temps,une fois que vous retirer les 10 euros + rajouter les intérêts, la partie qui reste est détruite mais nous payons des intérêts dessus aussi, j'ai bien compris ?
    Bon je vais bien étudier tout ça ! Pour ce qui concerne la proposition du futur désirable l'idée est bonne mais il y a encore du boulot ... Vous savez si l'économiste célèbre qui a bossé avec lui que je vais pas nommer va continuer où pas ?...

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  3. Ou, c'est ça! Le mécanisme qui est décrit ici, c'est celui de la création monétaire par la BCE, qui n'est pas très différent de celui utilisé par la réserve fédérale US, à la différence près que les états de la zone euro n'ont pas le droit d'emprunter directement à la BCE, mais doivent passer par les marchés financiers. Pour plus de détails, vous pouvez regarder cette vidéo de Paul Grignon, au ton complotiste et qui comporte quelques erreurs, mais qui décrit bien le mécanisme:https://youtu.be/kgA2-bWXSN4, ou lire les publis de Bernard Maris. Lire aussi la critique de la vidéo de Grignon dans http://vuedegauche.canalblog.com/archives/2008/10/10/10898502.html. J'ignore tout des intentions de Thomas P. et de Julia C.

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