vendredi 7 juillet 2017

De la fin de l'histoire à la fin de la démocratie. Le macronisme

la victoire du marché et la "fin de l'histoire"


Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l'effondrement final de l'Union Soviétique en 1991, l'idéologue libéral Francis Fukuyama pouvait proclamer la fin de l'histoire et l'avènement universel de la démocratie libérale de marché. Cette période voit aussi le triomphe du thatcherisme dans les pays anglo-saxons et la conversion des gauches social-démocrates européennes à l'idéologie du marché.


Un slogan qui évoque la radicalité de Mai 68.
Comment le PS est-il devenu un parti libéral ?

En France,  le tournant de la rigueur de 1983 prépare l'acte unique de 1986, le traité de Maastricht en 1992, la mise en service de la monnaie unique de 2002.

2002, tiens, fin de la gauche plurielle, le gouvernement de la Veme qui a le plus privatisé, avec le gros qui voulait dégraisser l'Education Nationale, et l'aveu naïf de Jospin : "l'Etat ne peut pas tout !". Ne peut plus grand chose aurait-il du dire, tant la disparition de l'Etat en tant qu'agent économique était alors profondément engagée. La France, dés lors, n'a plus de politique industrielle, plus de politique monétaire, un budget encadré par Bruxelles. Ils ont quand même fait les 35heures, et c'était pas rien. Merci Martine !
La fin de l'histoire, c'est aussi la disparition du prolétariat, non pas en tant que classe sociale, mais en tant que sujet historique. Le parti socialiste peut devenir un parti d'élus et de gestionnaires.

le cercle de la raison et la fin de la démocratie


Ce début du  XXIeme siècle voit l'accroissement scandaleux des inégalités de revenu et de patrimoine, et corrélativement l'hégémonie presque totale de l'idéologie néolibérale : moins d'état, moins de règles, moins d'impôts ! 
Puisqu'il n'y a, au dire des économistes, des politiques, et des journalistes, qu'une seule politique possible, pourquoi s'en remettre au vote populaire qui viendrait entraver la marche glorieuse vers un marché ouvert, où la compétition de tous contre tous assurera un optimum de prospérité ?  Ceux qui savent (en gros Alain Minc, le Medef, et la majorité des promus de l'ENA) forment le "cercle de la raison", qui passera outre le rejet populaire du traité constitutionnel de 2005 et le reformulera, en pire, avec le traité de Lisbonne de 2007 et l'élargissement de l'UE.

L'histoire nous apprend que les sociétés humaines sont conflictuelles. Des groupes sociaux luttent pour le pouvoir ou la simple défense de leurs interêts. La démocratie libérale vise à arbitrer ces conflits : négociations sociales, paritarisme, parlementarisme, etc...
Dès lors qu'il n'y a plus qu'une politique possible, celle préconisée par le cercle de la raison, ces conflictualités disparaissent, et la démocratie devient obsolète. C'est le "et de droite" (libérale sociale), "et de gauche"  (sociale libérale). On élit toujours des députés, mais ils ne débattront de rien, sauf peut être du port de la cravate. Ils n'en ont d'ailleurs pas la compétence. Les lois seront rédigées par les avocats d'affaire spécialistes du droit public, du droit européen et les hauts fonctionnaires.



L'état  profond

Jeu : sur cette image de la promotion Voltaire de l'ENA, reconnaissez F. Hollande, S. Royal, D. de Villepin.
 En 2013, la formation d'un énarque coûtait environ 170000 euros à l'Etat

Qui dirige réellement l'Etat ? 15000 hauts fonctionnaires dont quelques milliers d'énarques forment une armée de directeurs de cabinets, conseillers, chargés de mission, directeurs d'administration, à quoi s'ajoutent les cadres dirigeants des grands corps d'Etat. Le CV de ces agents de l'Etat est très standardisé : classes préparatoires, sciences po, école polytechnique, ENA,  et spécialisation dans un grand corps d'état : Mines, Armement, Inspection Générale des Finances. On sait que ces formations d'élite sont un haut lieu de la reproduction sociale.

Une pratique courante de ce milieu est le pantouflage, qui consiste à alterner responsabilités dans la fonction publique et postes lucratifs dans le privé. Le cas de l'inspection générale des finances est de ce point de vue instructif. Une enquête d'Agnès Rousseaux pour BASTAMAG portant sur les carrières de 333 inspecteurs des finances indique que 55% d'entre eux travaillent ou ont travaillé dans le secteur privé, avec une forte attirance pour la banque (34%). Plus d'un tiers ont aussi exercé un mandat électif ou travaillé dans le cabinet d'un ministre. Au delà des évidents conflits d’intérêt et des solidarités de classe ou de promotion, ce fonctionnement pose problème dans la mesure ou le fonctionnaire, le ministre, qui cherche une pantoufle, va bien se garder de nuire à ceux dont il briguera plus tard la faveur.

Bernard Cazeneuve rejoint le cabinet d'avocats d'affaire August &Debouzy


Conformément au dogme libéral, l'Etat abandonne toute prétention de direction de l'activité économique au profit d'un rôle de régulateur des marchés. Sa nouvelle mission est d'assurer la fluidité des marchés, de garantir la concurrence libre et non faussée et de transcrire en droit français les directives européennes.
Cette mission étant essentiellement de nature juridique, les cabinets d'avocats d'affaire jouent ici un rôle croissant, avec l'apparition de nouvelles disciplines du droit : droit public des affaires, droit européen, droit des partenariats public-privé. La construction de ce nouvau corpus du droit fait l'objet d'une étroite symbiose entre la haute fonction publique, les cabinets d'avocats et les lobbys.

Les cabinets d'avocats d'affaires et les sociétés de conseil sont à présent le lieu privilégié de la reconversion  des anciens ministres.
Antoine Vauchez, co-auteur avec Pierre France du livre, "Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage" s'exprime ainsi dans une récente entrevue à Médiapart : Cette nébuleuse, très active, forme un véritable sas où se développe une sociabilité « public-privé », où s’acquiert une forme d’ethos « public-privé » et où se construisent des opportunités de reconversion ... On constate alors la perte de spécificité du « public » comme espace autonome soumis à des règles d’un autre ordre (délibération démocratique, contrôle politique).

Le macronisme est l'aboutissement de cette tendance : des experts issus du privé dans les cabinets ministériels, des chèvres à l'Assemblée Nationale.


Quelle stratégie pour la gauche socialiste ?


Lors de l'élaboration de la loi Sapin II, la représentation nationale a apporté de nombreux amendements au texte du gouvernement, en particulier celui concernant le "reporting" des activités des entreprises à l'étranger, c'est à dire l’obligation faite aux multinationales de communiquer publiquement leurs données financières pays par pays et non plus d’en réserver le détail aux administrations fiscales.
Le cabinet de Sapin s'était opposé à ces dispositions qui, très vraisemblablement parce qu'elles furent délibérément mal rédigées, ont été retoquées par le Conseil Constitutionnel au nom de "la liberté d'entreprendre". A noter la stupéfiante jurisprudence introduite par le Conseil Constitutionnel qui assimile les personnes physiques, et les droits que la constitution leur garantit, aux personnes morales, ici les multinationales.
Cette anecdote reflète le pouvoir d'obstruction dont dispose l'Etat profond face à la démocratie.

Pas militant, et encore moins stratège, je m'interroge : de quelle réelle capacité de transformation sociale un gouvernement de gauche disposerait-il en 2022, face à un bataillon de milliers d' énarques employés à temps partiel par les banques et les lobbies, face à l'obstruction que lui opposeront les instances de régulation "indépendantes", face au corset juridique mis en place par les traités européens et transatlantiques ?

Le rapport de force est nettement en défaveur d'une éventuelle présidence socialiste, qu'elle porte le nom de Hamon ou d'un, d'une, autre. Ce rapport de forces ne pourrait s'inverser qu'à la faveur d'une importante mobilisation populaire, comme celle que nos aïeux ont vécu en 1936, comme celle qui a fait défaut en 1983.
Afin d'espérer restaurer la souveraineté du peuple, nous avons besoin, non seulement d'une organisation capable de gagner des élections, mais aussi, et surtout, capable de faire émerger des idées, de promouvoir dans la société des pratiques socialistes et écologiques, de fédérer les résistances à l'ordolibéralisme, de tisser des alliances avec les peuples voisins.
M1717 peut faire ça.

Aristide  Kufudakis

quelques documents :
sur la pantoufle , et aussi
l'article de Mediapart
le livre d'Antoine Chavez et Pierre France : "Sphère Publique, Intérêts privés".Les Presses SciencesPo



2 commentaires:

  1. Moins d'impôts ? Pour qui ? Certainement pas pour les classes moyennes qui paient pour maintenir encore ce qui reste de l'Etat et de sa "gouvernance" comme on dit aujourd'hui. La fondation Widelstein dont le Musée Marmottan s'enorgueillit aujourd'hui d'enluminures données généreusement par ce mécène n'a pas manqué de détourner des dizaines de millions de dollars à l'Etat français en subtilisant dans un coffre bien à l'abri des regards indiscrets des tableaux d'une valeur inestimable... La déclaration de revenus de 2009 pour ce mécène était de 8097 euros de revenu imposable. Quant au grand copain de J. Chirac il n'a pas du tout apprécié qu'on lui refuse le don de l'Ile Seguin sur la seine où les usines Renault avaient construit (du temps où les ouvriers existaient encore et non remplacés par des robots) et François Pinault l'une des plus grandes fortunes de France de claquer la porte et de créer sa fondation à .... Venise en remerciement je pense pour les milliards que l'Etat français lui a alloué pour faire tourner ses entreprises : la casse des cotisations patronales non payées par lui pour les grands magasins du Printemps n'en étant pas un des moindres ! On ne va pas tuer une institution qui représente le Temple d'une société du Veau d'Or de la consommation. Inutile de faire la liste, elle serait longue, longue... Mais dire qu'il n'y a plus d'impôts je ne partage pas l'analyse

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  2. je souscris à ce commentaire. L'impôt qui frappe les classes moyennes ou pauvres, TVA, CSG, impôts locaux, taxe foncières, impôts sur le revenu ne baisse pas. En revanche, les tranches supérieures de l'IR ont disparu, de même qu'ont baissé les droits de succession et l'imposition des revenus du capital. De nombreuses niches fiscales, comme celle que vous évoquez, participent à cette réduction des contributions des plus riches. Du côté de la fiscalité des entreprises, l'impôt sur les sociétés, et la taxation des bénéfices se voient également réduits, en particulier grâce aux nombreux dispositifs d'optimisation fiscale permis dans l'UE, comme la possibilité qui est offerte d'expatrier ses bénéfices vers les paradis fiscaux (Pays Bas, Irlande, Luxembourg, Malte, Iles AngloNormandes, rien que pour l'UE). En France, des dispositifs comme le CICE ou le Credit Impôt Recherche, accentuent cette tendance.

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