jeudi 26 octobre 2017

Survivance des lucioles ?

Titre d'un livre de Georges Didi Huberman,  les lucioles sont, chez Dante, les esprits tourmentés dans la Bolge, des esprits corrompus et des politiques perfides, dans la Divine Comédie.







C'est également chez Pasolini l'expression d'une Lumière vivace dans un esprit poétique et politique, une survenance ou une fulgurance de manifestation intellectuelle et physique.
 Cette analogie provient d'un souvenir de Pasolini où dans la banlieue de Rome il avait pu apercevoir ce spectacle nocturne de lucioles se déplaçant dans les airs et projetant leur faible lumière.

Lucioles en pleine émulation


La lumière est,  dans ce cas,  une sorte d'immanence c'est-à-dire que nous la portons en nous et elle demeure l'énergie de l'expression de nos aspirations.

Les cerces de l'enfer par Boticelli reproduisant les Bolges de la Divine Comédie


Notre société participe t-elle à cette expression ? Est-elle au contraire un obstacle ?

Je suis personnellement empreint ces derniers temps d'une forme de lassitude, quand je regarde cet environnement si complexe qu'est notre société. Une mélancolie également mais qui ne comporte en son sein aucune caractéristique esthétique.
Je rencontre beaucoup de personnes, contraintes d'agir par nécessité, par besoin, pour des questions de survie, sans avoir le temps de s'asseoir et de regarder où nous en sommes tous.

Beaucoup de commentateurs, d'universitaires, considèrent qu'il existe une baisse de l'esprit critique en France, une diminution de l'implication sociale, associative, citoyenne des français.

Les motifs sont variés : désintérêt, défiance, cynisme.

Pourtant, je demeure persuadé que les causes sont contextuelles et proviennent d'une société et d'un modèle social qui annihilent toute volonté individuelle afin de générer une apathie collective.

L'on nous a appris ces cinquante dernières années, qu'il fallait travailler dur, qu'il fallait être méritant, individuellement, et surtout, se conformer à des modèles pré-établis.
Je me vois mal  demander à une maman seule et isolée de prendre le temps qu'elle n'a pas pour s'impliquer socialement ou politiquement.
Je me vois mal  demander à un étudiant, qui doit payer ses cours avec un temps partiel dans un fast food,  de s'asseoir et d'apporter une réflexion consistante sur de grandes problématiques.
Je me vois mal,  demander aux deux tiers des Français de faire des choses par conviction, quand même leurs envies passent à la trappe.
Et je me vois finalement mal  exiger d'eux une citoyenneté et un devoir civique qui les entraînent dans un sacrifice permanent.

Cependant, il s'agit là d'un cercle vicieux. Si personne ne peut réfléchir à une société qui permet l'usage et l'expression de ses droits et de sa liberté alors comment enrayer cette impossibilité à les utiliser ?

De même  dans un espace public sclérosé par un état d'urgence érigé en droit commun,  et une place citoyenne qui est murée dans le silence,  entrecoupée de manifestations sporadiques, est il possible de construire une réflexion sociale et sociétale qui permettrait alors de générer un nouveau projet de société ?


agora grecque tableau de Raphaël avec Aristote et Platon au centre

Car finalement, nous souffrons tous du manque d'idées d'une élite qui n'est plus intellectuellement légitime pour demeurer une élite.
Nous  sommes confrontés à un manque de vision en termes d'éducation, de culture, d'urbanisme, de gestion des technologies, de l'emploi, des structures d'organisations, de la gestion des savoirs.
Et finalement, avons nous l'espace requis pour briller et survivre ?

Ce que je tente d'exprimer, c'est de constater la situation dans laquelle on se trouve selon un nouveau paradigme. Jusqu'ici, tout le monde s'échinait à établir nos échecs selon un manque de volonté collective et un manque de liberté individuelle.
 Or je pense qu'il s'agit d'un manque de possibilités collectives et d'un manque de capacités individuelles.

La possibilité de s'établir en communauté réflexive et projective pour les raisons évoquées, le manque de capacités individuelles dont la responsabilité incombe à un pouvoir qui n'est pas fasciste par sa gouvernance mais fasciste par la confiscation d'un libre arbitre.
En effet il n'y a pas de privation, les droits sont évoqués par des textes qui nous sécurisent, mais finalement l'empêchement de les éprouver pleinement par la construction d'une société intellectuellement aliénante est un fascisme que décrivait fort bien Agamben.


Alors que faisons nous ?

Chacun tente de se réapproprier dans la mesure du possible un espace, politique, associatif, social, sociétal, culturel afin d'exprimer une bribe de message.
Certains s'impliquent au sein de mouvements politiques qui essayent d'être horizontaux et sans hiérarchie, d'autres au sein de forums et de blogs, toujours en vue d'une utilité.
Or je pense que l'utilitarisme de nos actions, c'est à dire indexer chaque acte à des conséquences, est précisément ce qui a déterminé cette spoliation de la parole construite. ce qu'il faut créer désormais est une nouvelle métaphysique de la société, et une nouvelle ontologie de l'individu.
Engendrer une nouvelle essence de notre environnement et une nouvelle définition de l'Homme.
Il ne faut pas réformer mais former.

Cela passera par du dialogue, par du conflit, par du débat mais aussi par le soin d'exister individuellement et le souci de structurer collectivement. Nous en sommes loin et je ne suis pas sûr que nous y arrivions.

Les lucioles ont disparu de la banlieue romaine, on en trouve au Brésil paraît- il?
En France si elles sont présentes, elles ne brillent plus.

2 commentaires:

  1. c'est intéressant mais non transmissible, niveau de langage et espression des idées peu accessibles dommage ! d'accord avec cette analyse, mais les Réseaux d'Echanges et de Savoirs font le pari d'une communication naturelle, de débats et d'échanges dont culturels et politiques (gestion de la chose publique dont déjà au niveau d'un groupe, d'un quartier, d'une commune ... ) qui permet à chacun/e de se/préciser sa pensée, renforcer ses capacités d'analyse et de synthèse, renforcer ses savoirs dont savoir-être, estime de soi, et savoir-faire dont transmission donc appropriation, ses niveaux de langage, bref, devenir acteur citoyen ! Et la plus d'attentisme, de passivité... non, pas un rêve,une réalité qui germe !

    RépondreSupprimer
  2. Ma réponse à votre commentaire (entre autres)
    http://www.semeurscitoyens.com/2017/11/quel-discours-pour-quel-message.html?m=0

    RépondreSupprimer

Tout commentaire agressif et raciste sera enlevé, mais des dialogues constructifs sont les bienvenus

La valse des idées brunes par Myriam Da Molin

Je regrette l'époque où tout le monde autour de moi avait lu «matin brun» et se demandait comment lutter contre cette dangereuse ind...

Rechercher dans ce blog

Mentions

La Voix des Semeurs est membre du Réseau

"Semeurs Citoyens"




Les avis exprimés par les différents contributeurs varient et sont de la seule responsabilité de leurs auteurs mais respectent les principes républicains de la Constitution Française, ainsi que la Loi sur la Liberté de la presse du 29 Juillet 1881.

Notre ligne éditoriale humaniste et utopiste fait admettre dans notre sein une pluralité d'opinions et non une ligne stricte imposée par la rédaction.

Aussi des nuances d'opinion se retrouvent dans les contributeurs et auteurs, et cette pluralité est encouragée dans notre réseau.